Naissance du Jazz

Pendant un demi-siècle (1835-1885), Congo Square fut le lieu principal d'expression des esclaves de New Orleans, qui pouvaient y danser, chanter et jouer chaque dimanche. Congo Square peut être considéré comme l'un des berceaux du jazz. L'endroit a aujourd'hui fait l'objet d'une réhabilitation et un parc public y a été créé en l'honneur du plus grand jazzman de la ville : le Louis Armstrong Park.

 

Après l'interdiction des réunions publiques à Congo Square, Lincoln Park devint le nouveau lieu de rassemblement. Dans les années 1890, un orchestre s'y produisait régulièrement. Son leader entrera dans l'histoire comme le premier grand musicien de jazz, bien qu'il n'ait jamais enregistré une seule note ! Charles "Buddy" Bolden dominera la scène néo-orléanaise jusqu'en 1907. La musique qu'il jouait alors n'était pas encore appelé jazz et n'avait, en fait, certainement pas grand chose à voir avec le jazz que l'on connaît maintenant. La musique populaire de l'époque était un mélange de musique de danse traditionnelle, de musique de fanfare, de chansons religieuses (spirituals) ou de travail (work songs) que le blues et le ragtime allaient transformer au fil des improvisations.

D'autres orchestres, tels ceux de John Robichaux ou Emmanuel Perez, rivalisaient, mais cette activité ne leur permettait pas, alors, de vivre. Tous ces musiciens avaient un métier.

 

Dans le sillage de Buddy Bolden, les musiciens furent contraints de s'adapter et d'adopter le nouveau son 'hot' sous peine de 'rester sur le carreau'. En 1906, Buddy Bolden était le "roi" des cornettistes; son orchestre joua dans tous les lieux de la ville, mais il semble que sa 'base' ait été le Union Sons Hall, connu aussi sous le nom de Funky Butt. Sa vie de musicien fut une rapide auto destruction qui l'amena, en 1907, dans un hôpital psychiatrique où il passera le reste de ses jours.

Quand Bolden laissa la scène, la bataille s'engagea pour sa succession. Les orchestres de cornettistes comme Buddy Petite ou Bunk Jonhson s'engageaient régulièrement dans des joutes musicales pour déterminer lequel dominerait l'autre. Selon les critiques, il semble que, parmi les prétendants, Freddie Keppard était celui dont le style se rapprochait le plus de celui de Buddy Bolden. Son orchestre, l'Original Creole Orchestra, fut le premier à se produire en dehors des limites de la ville, à San Francisco en 1913, à Chicago en 1914.

A cette époque, la musique était omniprésente à New Orleans, la nuit comme la journée, dans les clubs, dans la rue aussi bien que dans toutes les boîtes de Storyville.

Les cornettistes, de part la puissance de leur instrument, tenaient le haut du pavé. Après Keppard, ce fut le tour de Joe Oliver, puis de son protégé Louis Armstrong. Ce dernier, comme Sidney Bechet, alors adolescent cherchait toujours une occasion de jouer avec leur idole, Joe Oliver.

De plus en plus d'orchestres noirs se produisaient maintenant régulièrement dans d'autres états voisins tels que le Texas, le Mississippi ou la Floride. Mais c'est la ville de Chicago qui attira le plus les musiciens néo-orléanais. Deux événements provoquèrent cet exode. Le premier fut la fin de Storyville qui eut pour conséquence la fermeture de la majorité des endroits qui engageaient des musiciens. Le second était l'industrialisation du Nord et les salaires qu'elle procurait aux ouvriers agricoles du Sud.

 

Le jazz, né à New Orleans, était prêt à conquérir le monde…Les musiciens de New Orleans provoquèrent une vraie révolution musicale. Chicago puis New York furent rapidement conquis.

Grâce à Storyville, la musique de la communauté noire et créole vint aux oreilles des blancs. En effet, certains lieux où jouaient les fameux 'piano professors' n'étaient fréquentés que par des blancs. Tony Jackson, le plus célèbre de cette époque, ou Jelly Roll Morton, y gagnaient quelques dollars chaque nuit grâce aux pourboires des blancs.

Des orchestres blancs se mirent alors à imiter les noirs et à animer les soirées et les pique-niques de la société blanche. Le trompettiste Tom Brown fut le premier à mettre le mot 'jazz' dans le nom de son orchestre, le Brown's Dixieland Jazz Band. L'orchestre sera, lui aussi, invité à Chicago et y remportera un franc succès; suffisamment pour qu'un promoteur fasse venir un autre orchestre de New Orleans. Il s'agissait de l'orchestre du cornettiste Nick La Rocca qui allait entrer dans l'histoire comme le premier à enregistrer du jazz : l'Original Dixieland Jazz Band. Le disque, sorti par Victor Records et qui comprenait "Livery Stable Blues" et "Dixie Jass Band One-Step", fut un succès immédiat.

 

Ce style de jazz joué par des musiciens blancs allait se faire connaître sous le nom de 'Dixieland', afin de le distinguer du jazz original joué par les noirs et les créoles de New Orleans. Mais cet engouement permit la reconnaissance de grands musiciens comme King Oliver, Kid Ory, Johnny Dodds, Paul Barbarin, Zutty Singleton et, bien sûr, Louis Armstrong.

 

Mais le principal pionnier restera Ferdinand La Menthe, certainement le premier vrai compositeur-arrangeur de jazz, plus connu sous le nom de Jelly Roll Morton. Après plusieurs années d'"apprentissage" dans les bordels de Storyville, il connaîtra la gloire nationale, puis internationale, se proclamant lui-même "originator of jazz and stomps, world's greatest hot tune writer" !

Une autre créole néo-orléanais atteindra la renommée internationale : Sidney Bechet était le plus talentueux soliste à la clarinette et au saxophone soprano. Il quittera assez rapidement New Orleans pour une reconnaissance mondiale et, selon certains, reste "probablement le plus lyrique et le plus romantique de tous les musiciens de jazz américains".

Le jazz de New Orleans atteindra les sommets de la créativité grâce à un noir que rien ne disposait, a priori, à une telle carrière. Louis Armstrong, issu d'un des milieux les plus pauvres de la ville, apprendra à jouer du cornet dans une maison de correction. Il deviendra, pour le monde entier, "Satchmo" le jazzman le plus inventif du siècle, celui qui révolutionnera cette musique. Des centaines de musiciens reconnaîtrons son influence.

La plupart des grands musiciens de New Orleans s'étant expatriés, la ville allait connaître, pendant deux décennies, une période assez calme. Bien sûr, la musique était toujours très présente mais, à part le cornettiste Henry "Red" Allen, peu de grands talents émergèrent de la Cité du Croissant. Pendant ces années 20 et surtout 30, l'orchestre phare de New orleans fut le New Orleans Rhythm Kings

Le jazz de New Orleans avait de moins en moins les faveurs du public. Cependant deux jeunes néo-orléanais allaient perpétuer la tradition. Al Hirt et Pete Fountain permettront de maintenir cet esprit original du jazz traditionnel jusqu'à leur récente disparition.

             

Jusqu'au début des années 60, il semblait que ce style de jazz ne pourrait pas perdurer. Puis un certain renouveau intervint grâce, notamment, à Allan Jaffe, un passionné, qui créa le Preservation Hall, en 1961. Depuis, son fils Ben a repris le flambeau…

Cet endroit, maintenant légendaire, existe toujours et permet à cette musique de rester vivante.